Si les mots ont un sens, « l’Etat
d’urgence » entrepreneurial décrété par plusieurs organisations
patronales, le MEDEF en tête, peut être diversement interprété.
Dans une première lecture, on
pourrait trouver parfaitement classique que le MEDEF s’insurge d’une
augmentation des charges pesant sur les entreprises, ou plus exactement sur les
actionnaires. Sans juger du fond des mesures envisagées et de leur impact réel
ou supposé sur notre Economie, ces prises de positions sont en apparence dans
la continuité du mouvement patronal. Et lorsque la gauche est au pouvoir, le
rapport de force a souvent tendance à se radicaliser.
En y regardant de plus près, on
constate cependant une petite anomalie dans le jeu d’acteurs d’ordinaire bien réglé
entre les organisations patronales.
Je ne veux pas parler ici de la
manière dont les « pigeons » ont pris de court les organisations
traditionnelles, ni comment ces dernières essayent maladroitement de récupérer
le mouvement. Il y a bien longtemps que le MEDEF et la CGPME ont perdu le
monopole de la représentation auprès des pouvoirs publics. N’importe quelle association ou groupuscule est
aujourd’hui bien plus efficace et réactif pour faire entendre sa voix. Les
gouvernements ont bien compris toute l’utilité qu’il y avait à atomiser les
corps intermédiaires pour mieux les ignorer.
Non, ce qui interpelle dans cet épisode
récent, c’est l’inversement (provisoire ?) des rôles entre MEDEF et CGPME.
Dans le monde patronal comme syndical, chacun a son registre de prédilection.
La CGT joue le rapport de force, la CFDT cherche le compromis. Dans ses
rapports avec les syndicats et les pouvoirs publics, le MEDEF joue d’habitude
les interlocuteurs crédibles pendant que la CGPME fait preuve d’intransigeance.
Or c’est exactement l’inverse qui
se produit dans l’épisode en cours, relatif au projet de taxation des
plus-values. Le MEDEF prône la radicalisation, la CGPME s’évertue à trouver un
compromis. Il serait audacieux de penser qu’il s’agit d’un bouleversement
profond des postures. Difficile de croire à un changement profond de l’ADN des
2 structures.
Plus vraisemblablement,
l’explication se trouve dans la perspective des prochaines élections pour la présidence
du MEDEF. Sur le papier, le processus est clair : En juillet 2013, après
deux mandats, Laurence Parisot devra céder sa place, les statuts du MEDEF ne
lui permettant pas de se représenter.
Seulement voilà, cette
perspective n’enchante guère la Présidente du MEDEF. Après huit années sous les
projecteurs, on l’imagine mal retourner dans le monde réel et retomber
subitement dans l’anonymat, comme ce fut le cas pour les autres ex-présidents
du MEDEF. Ce serait mal connaître cette « femme en guerre » pour
reprendre le titre de la biographie écrite par la journaliste fanny Guinochet.
Après huit années au cœur de l’actualité sociale et politique, difficile
de se contenter de la vice-présidence
de l’IFOP et de quelques mandats au conseil d’administration de grandes
entreprises. Lors de ses deux mandats, la question de son point de chute s’est
déjà posé plusieurs fois, Laurence Parisot espérant secrètement être « récompensée »
par Nicolas Sarkozy. On se souvient qu’à l’époque la présidente du MEDEF
prenait milles précautions quand il s’agissait de critiquer l’action du
gouvernement, même lorsque celui-ci s’attaquait au partage des bénéfices dans
l’entreprise ou à la gouvernance des entreprises. Mauvais calcul, à en juger
par les « piques » distillées à l’époque par les proches de l’ancien
président, Alain Minc en tête. Avec la nouvelle majorité, ses espoirs de
portefeuille ou de nomination à la commission européenne se sont définitivement
évaporés.
A quelques mois de l’élection
patronale, le calendrier s’accélère, soit pour rester à son poste, soit pour
exister en dehors du MEDEF, en se
lançant pourquoi pas en politique. Dans les deux cas, la tactique est la même :
communication et dramatisation. Deux registres dans lesquels elle excelle.
On aurait tort cependant de
sous-estimer son ambition et sa détermination. Ce sont ces mêmes qualités qui
lui ont permis devenir contre
toute attente la première femme présidente du MEDEF, et d’être réélue en 2010
avec plus de 93% des voix. Fin 2009, pourtant, peu d’observateurs pariaient sur
sa réélection, certains imaginant même qu’elle ne se représenterait pas. Entre
le départ de la puissante fédération des industries alimentaires, la valse des
directeurs généraux et les reproches sur son exercice personnel de la présidence
du MEDEF, les embuches se multipliaient. Surtout, les plaies de l’affaire UIMM étaient
encore ouvertes et les indignations publiques de Laurence Parisot étaient
encore dans les mémoires. Dans le microcosme patronal, on apprécie que le linge
sale se lave en famille et il est d’usage de se retirer lorsqu’on n’a plus
l’assentiment de ses pairs. Mais surtout on est légitimiste. Laurence Parisot
l’a bien compris et c’est paradoxalement en s’affranchissant de ces codes
surannés qu’elle a su conserver sa main mise. C’est en montrant qu’elle ne
renoncerait pas qu’elle a étouffé toute velléité d’opposition.
Laurence Parisot, en adoptant un
discours performatif, semble donc préparer ses adhérents à un nouveau coup de
force. Invoquer l’Etat d’urgence,
c’est immanquablement imposer l’idée d’une situation exceptionnelle nécessitant
des pouvoirs exceptionnels, dérogatoires au droit commun. «Il n’y a que les plus grands dangers qui puissent
balancer celui d’altérer l’ordre public » disait Rousseau. C’est faire le pari que la
crise va s’amplifier et le fossé entre les Français et les entreprises va se
creuser, et qu’il suffit de souffler sur les braises
pour apparaître comme
incontournable. En pleine tempête, on ne change pas de capitaine.
La tactique est périlleuse et
plusieurs barons l’ont déjà découragé, mais l’ambition de la présidente du
MEDEF est intacte. Et c’est pour elle la seule option possible. Seul un plébiscite
peut lui permettre d’envisager de prolonger son règne.
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