mardi 16 octobre 2012

« Etat d’urgence » entrepreneurial, la drôle de campagne de Laurence Parisot


Si les mots ont un sens, « l’Etat d’urgence » entrepreneurial décrété par plusieurs organisations patronales, le MEDEF en tête, peut être diversement interprété.

Dans une première lecture, on pourrait trouver parfaitement classique que le MEDEF s’insurge d’une augmentation des charges pesant sur les entreprises, ou plus exactement sur les actionnaires. Sans juger du fond des mesures envisagées et de leur impact réel ou supposé sur notre Economie, ces prises de positions sont en apparence dans la continuité du mouvement patronal. Et lorsque la gauche est au pouvoir, le rapport de force a souvent tendance à se radicaliser.

En y regardant de plus près, on constate cependant une petite anomalie dans le jeu d’acteurs d’ordinaire bien réglé entre les organisations patronales.

Je ne veux pas parler ici de la manière dont les « pigeons » ont pris de court les organisations traditionnelles, ni comment ces dernières essayent maladroitement de récupérer le mouvement. Il y a bien longtemps que le MEDEF et la CGPME ont perdu le monopole de la représentation auprès des pouvoirs publics. N’importe  quelle association ou groupuscule est aujourd’hui bien plus efficace et réactif pour faire entendre sa voix. Les gouvernements ont bien compris toute l’utilité qu’il y avait à atomiser les corps intermédiaires pour mieux les ignorer.

Non, ce qui interpelle dans cet épisode récent, c’est l’inversement (provisoire ?) des rôles entre MEDEF et CGPME. Dans le monde patronal comme syndical, chacun a son registre de prédilection. La CGT joue le rapport de force, la CFDT cherche le compromis. Dans ses rapports avec les syndicats et les pouvoirs publics, le MEDEF joue d’habitude les interlocuteurs crédibles pendant que la CGPME fait preuve d’intransigeance.

Or c’est exactement l’inverse qui se produit dans l’épisode en cours, relatif au projet de taxation des plus-values. Le MEDEF prône la radicalisation, la CGPME s’évertue à trouver un compromis. Il serait audacieux de penser qu’il s’agit d’un bouleversement profond des postures. Difficile de croire à un changement profond de l’ADN des 2 structures.

Plus vraisemblablement, l’explication se trouve dans la perspective des prochaines élections pour la présidence du MEDEF. Sur le papier, le processus est clair : En juillet 2013, après deux mandats, Laurence Parisot devra céder sa place, les statuts du MEDEF ne lui permettant pas de se représenter.
Seulement voilà, cette perspective n’enchante guère la Présidente du MEDEF. Après huit années sous les projecteurs, on l’imagine mal retourner dans le monde réel et retomber subitement dans l’anonymat, comme ce fut le cas pour les autres ex-présidents du MEDEF. Ce serait mal connaître cette « femme en guerre » pour reprendre le titre de la biographie écrite par la journaliste fanny Guinochet. Après huit années au cœur de l’actualité sociale et politique, difficile de  se contenter de la vice-présidence de l’IFOP et de quelques mandats au conseil d’administration de grandes entreprises. Lors de ses deux mandats, la question de son point de chute s’est déjà posé plusieurs fois, Laurence Parisot espérant secrètement être « récompensée » par Nicolas Sarkozy. On se souvient qu’à l’époque la présidente du MEDEF prenait milles précautions quand il s’agissait de critiquer l’action du gouvernement, même lorsque celui-ci s’attaquait au partage des bénéfices dans l’entreprise ou à la gouvernance des entreprises. Mauvais calcul, à en juger par les « piques » distillées à l’époque par les proches de l’ancien président, Alain Minc en tête. Avec la nouvelle majorité, ses espoirs de portefeuille ou de nomination à la commission européenne se sont définitivement évaporés.

A quelques mois de l’élection patronale, le calendrier s’accélère, soit pour rester à son poste, soit pour exister en  dehors du MEDEF, en se lançant pourquoi pas en politique. Dans les deux cas, la tactique est la même : communication et dramatisation. Deux registres dans lesquels elle excelle.

On aurait tort cependant de sous-estimer son ambition et sa détermination. Ce sont ces mêmes qualités qui lui ont permis devenir  contre toute attente la première femme présidente du MEDEF, et d’être réélue en 2010 avec plus de 93% des voix. Fin 2009, pourtant, peu d’observateurs pariaient sur sa réélection, certains imaginant même qu’elle ne se représenterait pas. Entre le départ de la puissante fédération des industries alimentaires, la valse des directeurs généraux et les reproches sur son exercice personnel de la présidence du MEDEF, les embuches se multipliaient. Surtout, les plaies de l’affaire UIMM étaient encore ouvertes et les indignations publiques de Laurence Parisot étaient encore dans les mémoires. Dans le microcosme patronal, on apprécie que le linge sale se lave en famille et il est d’usage de se retirer lorsqu’on n’a plus l’assentiment de ses pairs. Mais surtout on est légitimiste. Laurence Parisot l’a bien compris et c’est paradoxalement en s’affranchissant de ces codes surannés qu’elle a su conserver sa main mise. C’est en montrant qu’elle ne renoncerait pas qu’elle a étouffé toute velléité d’opposition. 

Laurence Parisot, en adoptant un discours performatif, semble donc préparer ses adhérents à un nouveau coup de force. Invoquer l’Etat d’urgence, c’est immanquablement imposer l’idée d’une situation exceptionnelle nécessitant des pouvoirs exceptionnels, dérogatoires au droit commun. «Il n’y a que les plus grands dangers qui puissent balancer celui d’altérer l’ordre public » disait Rousseau. C’est faire le pari que la crise va s’amplifier et le fossé entre les Français et les entreprises va se creuser, et qu’il suffit de souffler sur les  braises  pour  apparaître comme incontournable. En pleine tempête, on ne change pas de capitaine.

La tactique est périlleuse et plusieurs barons l’ont déjà découragé, mais l’ambition de la présidente du MEDEF est intacte. Et c’est pour elle la seule option possible. Seul un plébiscite peut lui permettre d’envisager de prolonger son règne. 

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